
L’Afrique est-elle mal partie ? Si l’on ne s’en tient qu’au seul domaine de l’industrialisation, la tentation serait grande de répondre à cette question cruciale par l’affirmative, pour peu que l’on veuille voir la bouteille à moitié vide, plutôt que de la voir à moitié pleine. Dans l’état actuel, les chiffres sont loin d’inciter à l’optimiste, eu égard à la place qu’occupe l’Afrique sur l’échiquier mondial des sociétés les plus développées sur le plan industriel.
Qui peut oser dire avec certitude et conviction que l’Afrique n’est pas dotée d’atouts susceptibles d’en faire la locomotive de l’industrie mondiale. Tout plaide en sa faveur. Sauf à être de mauvaise foi, l’on ne pourrait ne pas lui reconnaître d’énormes ressources naturelles abondantes, des marchés intérieurs en pleine croissante, et une main d’œuvre jeune, pour n’évoquer que ces quelques-uns de ses privilèges, hélas mal exploités. Le potentiel nécessaire du continent africain pour devenir la prochaine frontière mondiale du développement industriel ne souffre l’ombre d’aucun doute. Il suffit pour cela de déployer toutes les stratégies de développement longtemps conçues depuis les Objectifs de Développement Durable (ODD), jusqu’au Plan d’action pour le Développement industriel accéléré de l’Afrique de l’Union Africaine, en passant par l’Agenda 2063. Il n’est point jusqu’à la Banque africaine de développement (BAD) qui n’en soit pas consciente. La preuve en est qu’il y a déjà quelques années qu’elle a mis en place une stratégie d’industrialisation pour 2016-2025, visant à à surmonter les obstacles de développement industriel et à valoriser les produits nationaux. Cependant, il existe encore de grands défis à relever pour mettre l’industrialisation de l’Afrique en première ligne.
COMMENT RÉSOUDRE LA DIFFICILE ÉQUATION ?
La question essentielle se pose de savoir comment installer résolument l’Afrique sur la place prépondérante qui devrait lui revenir de droit dans la sphère de l’industrialisation mondiale. Pour y parvenir, l’urgence commande de résoudre l’équation à plusieurs inconnues qui s’impose à tous ceux qui peuvent avoir vocation de se pencher sur son cas. Pour ce faire, il faut l’aider à éviter les chausses-trappes qui la guettent. Le débat ne se pose plus en termes de potentiels ou de potentialités dont jouit l’Afrique pour être une géante de l’industrialisation mondiale. Ses atouts sont connus et reconnus. Il faut plutôt que les politiques s’y impliquent profondément en résolvant les nombreux problèmes auxquels fait face l’Afrique, que l’on pourrait comparer à une personne qui vit dans un océan, mais qui meurt paradoxalement de soif.
Elle doit résoudre les problèmes d’infrastructures qui sont cruellement insuffisantes. Il y a ceux liés aux routes inexistantes, au coût élevé d’électricité industrielle qui est en moyenne deux fois plus élevé qu’en Asie. Parmi les difficultés cruciales qui minent l’industrialisation de l’Afrique, il y a également les problèmes de logistique. L’Afrique est aussi confrontée à la faible productivité du fait d’un manque de modernisation, de faibles compétences techniques et d’un accès limité à la technologie. Dans ce registre, l’on pourrait aussi évoquer la petitesse des marchés et les difficultés de financement. Malgré plus d’un milliard 400 militions d’habitants, les marchés restent fragmentés, avec de nombreux obstacles non tarifaires entre pays. Le commerce inter-africain ne représente encore que 15 % du commerce total africain, contre plus de 60 % en Europe. Les PME industrielles accèdent difficilement au crédit et le coût du capital est élevé, avec à la clé des taux d’intérêt dépassant parfois 20 % dans certains pays. Il faut ajouter à cette longue liste l’instabilité politique et réglementaire qui nivelle vers le bas l’industrialisation de la plupart des pays africains.
DES RAISONS D’ESPÉRER…
Le sort industriel de l’Afrique est loin d’être scellé. Ce continent, doté d’un riche potentiel, a tout à sa portée pour prendre un nouvel envol. Mais cela ne se fera pas par l’opération du Saint-Esprit. Ce rêve ne peut devenir réalité que s’il y a une mise en place progressive d’une zone de libre échange continentale africaine dont l’objectif est de créer un marché commun de plus d’un milliard 400 millions de consommateurs et stimuler l’industrie continentale. Il importe aussi d’augmenter de 52 % le commerce intra-africain d’ici à 2030. L’heure est venue d’encourager l’industrialisation verte et numérique, la coopération Sud-Sud et le développement des chaînes de valeurs locales.
Malgré tous les atouts de l’Afrique, son industrialisation ne pèse pas encore d’un poids lourd. Si l’on ne s’en tient qu’à sa contribution au PIB, l’industrie manufacturière ne représente qu’environ 10 à 12 % du PIB africain contre 20 % en Asie de l’Est. De même, l’industrie emploie moins de 10 % de la population active dans la plupart des pays africains. La part de l’Afrique dans le commerce manufacturier mondial est de moins de 2 % des exportations mondiales de biens manufacturiers, ce qui est faible, comparée à l’Asie qui en représente 40 %.
Combien sont-ils les pays africains qui excellent dans l’univers de l’industrialisation ? Selon la BAD, seuls quelques pays affichent un indice d’industrialisation supérieur à 0,5 (sur une échelle de 0 à 1). C’est le cas du Maroc, nation emblématique dans les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et du textile. L’on peut aussi citer l’Éthiopie, exemple à suivre dans le cuir, le textile, agroalimentaire, la zone industrielle d’Hawassa. L’Égypte et l’Afrique du Sud sont aussi les meilleures dans les domaines de la chimie, du ciment et de la sidérurgie (pour l’Égypte) et l’automobile, l’acier, la chimie et l’agro-industrie (pour l’Afrique du Sud).
Tout compte fait, rien n’est une fatalité pour ce qui est de l’industrialisation réelle ou effective de toute l’Afrique. La prise de conscience des goulots d’étranglement est effective. Le PSAO, en route depuis une demi décennie, y contribue efficacement depuis sa sortie des fonts baptismaux. Le Sénégal qui se prépare à accueillir la prochaine édition réunit de grands atouts pour prendre une longueur d’avance sur les pays qui sont encore à la traîne. Les dirigeants actuels de ce beau pays d’Afrique de l’Ouest, jeunes et fort ambitieux, sont convaincus que demain sera mieux qu’aujourd’hui. Ils en ont pris l’engagement devant le peuple souverain et se battent pour les besoins de cette noble cause patriotique et continentale. À Dakar, en octobre prochain, l’Afrique des affaires aura rendez-vous avec son destin et sa destinée.
Cyrille Kemmegne