Quand les femmes sont les piliers cachés de la résilience économique

Il y a fort longtemps qu’en Afrique, la femme ne se contente plus d’être une « pondeuse d’enfants », ni d’être belle et de se taire. Les préjugés défavorables ne la confinent plus à un rôle de seconde zone, faisant d’elle une personne, éternelle assistée, qui attend tout d’un mari qui serait l’alpha et l’oméga de la famille. Plus que jamais, la gent féminine pèse lourd sur le développement du continent en général, et sur son développement économique en particulier. Malgré un accès limité au financement, les femmes africaines assurent une part de la production agricole, du commerce informel et de l’entrepreneuriat local. Bien que stratégique à plus d’un titre, leur influence demeure, hélas, fatalement sous-estimée.

Il existe des chiffres officiels clés qui, à eux seuls seuls, devraient clore le débat oiseux sur le rôle prépondérant, voire capital, de la femme dans le processus de développement de l’Afrique. À elles seules, les femmes représentent 26 % de la population entrepreneuriale subsaharienne, contre 10 % en Europe, par exemple. Leur poids dans la main-d’œuvre agricole oscille entre 50 % et 80 % de la production vivrière. En 2023, leur part de levée de fonds en termes de start-ups entièrement féminisées s’est évaluée à 2,3 %. En faisant référence à la valeur annuelle créée par les PME dirigées par des femmes, à l’indice de parité économique AfDB 2019-2023 et à nombre d’autres données chiffrées disponibles, il est incontestable que le développement économique du continent africain se fera avec les femmes ou ne se fera pas.

ENTREPRENEURIAT FÉMININ : DÉFIS ET PERSPECTIVES

Dans les pays tels que le Botswana, l’Ouganda ou le Ghana, les femmes donnent à  mieux apprécier leurs immenses atouts, les défis qu’elles ont à relever au quotidien, en même temps que de bonnes raisons pour lesquelles le continent devrait miser ses espoirs sur elles. Au Botswana, en Ouganda et au Ghana, le taux d’activité des femmes propriétaires d’entreprises est respectivement de 38,5 %, 38,4 % et de 37,2 %. Malgré un accès fort limité au capital, soit au plus 10 % des flux d’investissement, ces femmes se battent comme des lionnes pour avoir une place au soleil et être des maillons forts de la chaîne du potentiel économique de leurs différents pays. Ce qui est absolument vrai pour les femmes de ces trois pays l’est aussi pour celles d’autres pays d’Afrique où les femmes, en dépit de leurs nombreuses tâches ménagères, contribuent efficacement à l’émergence économique. Ainsi compris, il serait erroné de considérer les femmes comme  la cinquième roue du carrosse de l’économie nationale alors que, en tous points de vue, elles sont quasiment incontournables. Au contraire, en Afrique, les femmes entrepreneures génèrent plus de valeur par dollar investi que leurs homologues masculins. Et pourtant, elles restent quasiment exclues des circuits de financement.  Elles innovent dans l’agriculture, dominent le commerce de proximité, réinventent la fintech ou la mode locale. Les entrepreneures africaines génèrent parfois jusqu’à 78 centimes de revenus par dollar investi, là où les hommes plafonnent à 31 centimes. Pourtant, en 2023, les start-ups féminines n’ont reçu que 2,3 % du capital levé sur le continent. Le contraste est saisissant et révèle un grand déséquilibre qui devrait inquiéter les consciences. Sur le plan strictement social ou sociétal, 31 % des ménages ruraux sont dirigés par des femmes qui apportent des contributions insoupçonnées non rémunérées par ailleurs, dans la bonne marche de leurs familles. Il apparaît donc urgent d’inverser la tendance pour transformer ce vivier d’énergie économique et social en levier structurant du développement.

Dans les campagnes comme dans les quartiers populaires des grandes villes, les femmes africaines bâtissent chaque jour les fondations d’une économie résiliente. Invisibles dans les indicateurs classiques, elles représentent pourtant jusqu’à 60 % de la main-d’œuvre agricole et assurent la survie de millions de familles via  le commerce informel. Pourtant, moins de 3 % des fonds de capital-risque leur sont alloués. Cette réalité paradoxale soulève une question fondamentale : comment imaginer l’avenir économique du continent sans les intégrer pleinement dans les politiques publiques, les investissements et les mécanismes de soutien.

L’heure n’est plus seulement à se contenter à appeler les femmes africaines les héroïnes de l’économie informelle, si tant est que leur potentiel dépasse de loin les sentiers de la simple survie. De Lagos à Dakar, de Nairobi à Antananarivo, les femmes africaines créent, innovent, nourrissent, éduquent. Malheureusement, leur contribution reste marginalisée, freinée par un accès inégal aux droits, aux capitaux et aux opportunités. Selon la Banque mondiale, combler l’écart hommes-femmes pourrait injecter jusqu’à 2500 milliards de dollars dans l’économie africaine, parce que la croissance du continent africain passe de façon impérieuse par la femme.

Le quatrième salon PSAO qui se tiendra au Sénégal en octobre prochain sera l’occasion pour les entrepreneures africaines de démontrer à ceux qui en douteraient encore qu’elles sont le moteur caché de l’économie africaine, voire mondiale, et un gisement de milliards encore sous-exploité. Ces femmes, chaque fois qu’elles en ont l’opportunité, savent faire montre d’audace et de résilience. Il semble venu le temps de la belle épopée des entrepreneures africaines qui savent, mieux que quiconque, se réinventer pour une Afrique qui gagne avec les femmes.

Cyrille Kemmegne

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